

Gorilles en habitat surpeuplé au Rwanda : la moitié des bébés tués par les mâles dominants
Devant un parterre de vedettes internationales, quarante bébés gorilles de montagne se voient baptiser au pied du Parc national des Volcans au Rwanda, où leur existence est menacée par la surpopulation de leur habitat, les mâles dominants tuant souvent les plus petits.
L'actrice hollywoodienne Michelle Yeoh, d'ex-gloires du football comme le Français Bacary Sagna et l'Argentin Javier Pastore ou la superstar sénégalo-italienne des influenceurs Khaby Lame sont réunis début septembre pour nommer "leur" bébé gorille au son des fanfares, des collines verdoyantes en arrière-plan.
"Je vais faire de lui un gorille star du cinéma", sourit le réalisateur américain de "Transformers" Michael Bay, qui dit avoir nommé "le sien" "Umurage", qui signifie "patrimoine" en kinyarwanda, l'idiome national.
Mais derrière cette célébration se cache une plus triste réalité : la moitié de ces bébés gorilles pourraient ne pas atteindre l'âge adulte, selon des experts, en raison de violents conflits interfamiliaux.
Les gorilles de montagne, ou dos argentés, reviennent de loin dans le massif de la Virunga, immense jungle vallonnée divisée entre le Parc national rwandais des volcans, le Parc national ougandais de Mgahinga et celui des Virunga en République démocratique du Congo, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.
Alors qu'à peine 242 d'entre eux étaient recensés en 1981, selon une étude de la légendaire défenseure des primates Dian Fossey, d'intenses efforts de conservation - lutte contre le braconnage, mobilisation des communautés locales, soins vétérinaires... - ont fait passer leur nombre à plus d'un millier.
Au rang des grandes satisfactions, ce primate à la superbe fourrure sombre, épaisse et brillante, est depuis 2018 considéré comme "en danger" et non plus "en danger critique" d'extinction, comme le sont les autres grands singes.
Mais sa population croissante, dans un habitat grignoté de moitié par l'humain, signifie que les différents groupes se rencontrent plus fréquemment dans l'espace qu'il leur reste.
Or les mâles "dos argentés se battent en essayant de protéger leur territoire", explique à l'AFP Eugène Mutangana, expert en gestion de la conservation Bureau de développement du Rwanda (RDB).
Dans le groupe des vaincus, les petits finissent ensuite par être "éliminés" sous les coups du vainqueur, poursuit-il, ajoutant qu'environ la moitié des jeunes gorilles nés cette dernière décennie ont été tués de cette manière.
- "Phénomène naturel" -
"Ce sont normalement des combats brefs mais acharnés", narre un ranger du massif des Virunga, qui réclame l'anonymat car la question est sensible au Rwanda, où le tourisme animalier est une importante source de rentrée de devises.
Les gorilles ont l'an dernier généré environ 200 millions de dollars pour Kigali, selon le RDB, malgré un nombre de visiteurs limité par les prix élevés des permis animaliers, facturés environ 1.500 dollars par visiteur.
"Le dos argenté qui gagne finit par frapper les petits contre des surfaces dures jusqu'à ce qu'ils meurent", poursuit le ranger, qui raconte avoir parfois emmené des clients voir les gorilles pour ne trouver que des bébés morts.
Les mères en deuil s'isolent ensuite souvent du nouveau mâle dominant, confie-t-il.
"Nous n'intervenons pas parce que c'est un phénomène naturel", observe Julius Nziza, vétérinaire en chef de l'ONG Gorilla doctors au Rwanda.
"Nous n'intervenons que lorsqu'il s'agit de maladies graves induites par l'homme ou mettant la vie (des gorilles) en danger, comme une grave maladie respiratoire", ajoute-t-il.
Le problème peut toutefois "être résolu en élargissant l'habitat", affirme le médecin.
Le Rwanda a donc décidé d'étendre l'habitat des gorilles de 23 % en relogeant quelque 3.400 familles hors du massif des Virunga, avec des compensations à la clé, affirme Eugène Mutangana, du RDB.
Mais l'opération, qui devrait selon lui augmenter de moitié la survie des bébés, a été entamée il y a plusieurs années, et elle pourrait prendre encore plus d'une décennie.
Les efforts de conservation sont en outre fragilisés par la présence de nombreux groupes armés dans les collines reculées des Virunga, notamment en RDC, ainsi que par les opérations minières et de déforestation illégales.
Les affrontements armés ont perturbé les schémas alimentaires et reproductifs des primates, selon les experts, mais aussi les humains essayant de les préserver. Environ 130 rangers ont été tués au fil des ans pour sauver les gorilles des montagne.
W.Kokkinos--AN-GR