

En Albanie, les fruits exotiques pour tenter de s'adapter au réchauffement climatique
Fruit du dragon, de la passion, goyave, kiwano... habitués aux climats tropicaux, ces fruits poussent désormais en Albanie où, résolus à s'arranger du réchauffement climatique, certains producteurs y voient les exportations de demain.
Irakli Shkoza a 75 ans, un diplôme d'agronomie et une petite ferme à Divjaka, qui ressemblerait presque au Jardin d'Eden. Cherchant à s'adapter aux températures chaque année plus élevées, il a décidé il y a six ans de diversifier sa production.
Il a d'abord fait venir les graines d'Afrique et d'Amérique et les a plantés sur son terrain d'environ deux hectares. Toutes se sont très bien adaptées au climat albanais.
Nichée entre des terres agricoles et la côte adriatique, la région de Divjaka est considérée comme le grenier de l'Albanie, où poussent légumes et pastèques destinés tant au marché local qu'à l'export.
Mais la hausse des températures couplée à un manque criant de main d'œuvre - l'Albanie a perdu 400.000 habitants en une décennie - pèsent sur les exploitations.
Les fruits exotiques ont besoin de moins d'eau et d'entretien, explique Irakli Shkoza, leur coût de production est donc inférieur.
Typiquement méditerranéen avec des étés chauds et sec et des hivers doux, le climat en Albanie a évolué sous le coup du réchauffement climatique.
Les simulations des conditions climatiques futures projettent une augmentation de température pour les Balkans occidentaux de 3,5°C en cas d'émissions modérées de gaz à effet de serre jusqu'à 8,8°C pour le scénario à fortes émissions, d'ici la fin du XXIe siècle, soulignent dans leur étude sur les impacts du changement climatique sur l'agriculture les Balkans occidentaux deux chercheurs allemands, Daniel Müller et Max Hofmann.
Les vagues de chaleur "endommageront probablement les rendements des cultures, en particulier en Albanie, où les températures moyennes sont les plus élevées pendant l'été", écrivent-ils.
Dans ce pays, la part de l'agriculture, la sylviculture et de la pêche dans le PIB en 2020 était de 19%.
Les changements climatiques ne sont pas nécessairement une calamité, veut cependant croire Irakli Shkoza, selon qui il faut savoir s'adapter pour en tirer profit.
"Les agriculteurs albanais doivent se mettre à produire largement ces cultures, le climat est favorable. Ces fruits sont très recherchés sur le marché européen, alors qu'ils viennent de loin, d'Amérique latine, d'Asie du Sud-Est, de Nouvelle-Zélande, d'Australie... ", explique l'agronome, soulignant que le voyage jusqu'en Europe a un coût, tant financier qu'en termes de fraîcheur.
- "Moins chers, plus frais" -
S’ils venaient d'Albanie, "ils coûteraient non seulement moins cher mais ils seraient plus frais", estime aussi Altin Hila, un autre agronome qui a créé un musée du papillon à Divjaka.
Les papayes que l'on trouve sur les marchés européens "sont récoltées encore vertes, puis apportées en Europe où elles mûrissent de façon artificielle. Ici, elles peuvent mûrir sur les arbres", dit Vasil Nikolovski, un producteur originaire de Macédoine du Nord installé depuis quelques années à Divjaka.
"L'Albanie a toutes les capacités pour répondre aux demandes du marché européen et réaliser un chiffre d’affaires de 100 à 200 millions d'euros", espère-t-il.
Irakli Shkoza a déjà réussi à mettre un pied sur le marché européen en exportant des fruits du dragon, de la passion et des pepinos - aussi appelé poire-melon, originaires d'Amérique latine.
Récemment, en s'alliant à d'autres fermiers de sa région, il a pu exporter en Croatie 30 tonnes de kiwano - aussi appelé melon à cornes.
"Et la récolte cette année s'annonce abondante", se réjouit-il en regardant attentivement les bourgeons de ses fruits du dragon.
A 55 km au sud de Divjaka, Lulzim Bullari cultive des kiwis. "Il ne faut pas se plaindre des températures élevées, ces deux dernières années, la production du kiwi a été une bénédiction", explique-t-il au milieu de ses 40 hectares de ce fruit dont la culture est récente en Albanie et quasi exclusivement dédiée à l'exportation vers la Suisse et les Pays-Bas.
Depuis peu, il s'est aussi mis à cultiver sur une quinzaine d'hectares une variété de figuiers originaire d'Afrique du Nord très résistant au climat hivernal doux.
"La chance sourit aux audacieux et il faut courir pour l'attraper", professe-t-il.
N.Tzortzis--AN-GR